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Date : 8/22/2015
Lieu : Landelies.
Activité : Via ferrata + Géocaching.

Description :

Participants : Greg-Amandine-Juju-Léon-Lili-Gi-Kérane-Johan-Caro-Sam-Toy-Anne cécile-Did H-Sophie-Oli-Etienne-Tam-Ben-Ethan-Théo

Invité : Louis.



Un étrange bracelet

Dimanche 23 août 2015.
6h00. Réveil douloureux. Mal de crâne. Pensées confuses.
En règle générale, la première question qui me vient à l'esprit à cette heure matutinale, c'est: "Footing ou vélo?". Pas aujourd'hui, pourtant. Mon œil vitreux de taupe ensommeillée est attiré par quelque chose d'insolite qui brille dans la pénombre.

- "Mais qu'est-ce que je fous avec un bracelet phosphorescent au poignet, moi?" me demandé-je d'une voix anormalement rauque, tandis que l'odeur de viande avariée qui s'échappe de ma bouche pâteuse agresse aussitôt mon nez de fin limier* (*pour une meilleure compréhension du texte, je renvoie le lecteur au récit de mes précédents exploits: La merveilleuse Cité Dore et La valeur d'un homme, in recueil de nouvelles champêtres "Maman, j'ai rétréci ma b...", éditions Grégor Rimorel, 2015, p.886 et s.)

Il faudrait que je me lève. J'ai la flemme pourtant. Mes membres me paraissent anormalement lourds et mon cerveau ressemble à s'y méprendre à un quartier de Londres, englué dans la brume poisseuse du petit matin. Ce n'est toutefois qu'une question de secondes avant que mes hésitations ne se dissipent, plus rapidement encore que le brouillard londonien. Un vague remugle de marée basse, produit par mes intestins et non par la Tamise, prend soudain possession de ma chambre et m'impose d'évacuer les lieux sans délai. J'oscille entre horreur et consternation: "!!!"* (*les mots me manquent, sur ce coup-là). Si je veux réussir à comprendre ce qui est à l'œuvre à l'intérieur de mon corps, il me faut impérativement rassembler mes souvenirs.

- Petit flash-back –

Carrière de Landelies - 17h30 la veille. Je stationne mon véhicule derrière celui de Ben et Tamara, lui-même garé au cul de la camionnette du Toy, à l'ombre de la verdoyante végétation qui borde le sentier d'accès au site. J'aperçois au loin un lycra moulant rose bonbon, que j'identifie sans peine comme étant celui de Sophie. Je suis à la bonne adresse, c'est déjà ça. Après avoir sorti de mon coffre ma chaise de camping vintage, une bouteille d'eau pétillante ainsi que les deux frigo-box stockés chez moi par Gi, je retrouve la bande de joyeux drilles des Sans Ciel®, du moins une partie d'entre eux, puisque certains sont absents et les autres - Oli "Miaou" Plamont, Jeff "Harley Davidson" Senterre, Léon et Gilliane François, notamment - sont encore occupés à s'adonner aux joies de la via-ferrata. L'endroit choisi pour accueillir nos libations est une charmante enclave herbeuse nichée au pied de la paroi que Les Suspendus® ont, en d'autres temps, équipée pour la pratique de la via* (*Cet épisode héroïque est narré dans une auto-biographie poignante: "Au nom de tous les nains - histoire d'un transfuge", Le Toy, éd. Passe-partout, 2015, p.121, à laquelle je me permets de renvoyer le lecteur). Hommage leur soit rendu par la présente.
A peine ai-je le temps de déposer mes affaires que Sophie me livre, d'entrée de jeu, les détails intimes de sa première expérience en tant que via-ferratiste.

- "Je me suis viandée contre la paroi, mais c'était le pied!" m'annonce-t-elle, une étrange lueur au fond de l'œil. "Quand tu penses qu'il y a deux ans, j'avais peur de monter sur une échelle!"

Quoique peu rassuré de la voir, elle aussi, basculer peu à peu du côté obscur de la Force* (*par-là, j'entends: ceux qui pratiquent un hobby parce qu'ils aiment se faire mal), je dois bien reconnaître que ses progrès sont impressionnants. Après avoir surmonté sa phobie des araignées, la voilà sur le point de vaincre sa peur du vide. Chapeau bas, Madame Plamont!

Après le traditionnel tour de salutations, je finis de m'installer. A ce moment-là, j'ai encore les idées claires. Du moins ai-je la faiblesse de le croire... J'ai tort, cependant. Déjà, c'est Juju qui retrouve mon gobelet, que je suis convaincu d'avoir déposé, à mon arrivée, sur l'une des deux tables de camping dressées pour l'occasion.

- "Tu l'as mis dans un des frigo-box", me suggère-t-elle sur le ton de l'évidence.

Elle a raison, la bougresse: je l'y ai moi-même rangé une demi-heure plus tôt, comment peut-elle savoir ça? Quelque peu désarçonné par cette démonstration de logique qui, au détour d'une inquiétante inversion des rôles, relègue soudain mon sens inné de la déduction au seuil de perspicacité d'une blonde à forte poitrine, je perds tout ce qu'il me reste de moyens et dépose par inadvertance ma bouteille d'eau pétillante dans un bac de rangement contenant casques, poulies et cordes. Le hic, c'est que j'agis machinalement, sans prêter véritablement attention à ce que je fais: seule la partie reptilienne de mon cerveau enregistre cette information.

Mon désarroi n'échappe toutefois pas à Anne-Cécile, qui me lance fissa: "Bois un coup, Etienne, ça te remettra les idées en place!". C'est alors que, pour la troisième fois avant que le coq n'ait chanté deux fois*, mon cerveau me fait défaut. (*Cette partie de mes aventures est relatée dans un autre ouvrage, Evangile de St Marc, Chap.14, versets 30 à 72, auquel je me permets de renvoyer le lecteur). Pour mon malheur, je suis ce conseil aviné, et je remplis mon gobelet d'une large mesure de vin blanc. Tel l'invité aux noces de Cana (Evangile de St Jean, Chap. 2), je vois le contenu de mon verre se transformer tout à tour en Chardonnay, en rosé, en champagne, en vin blanc pour moules, derechef en Chardonnay... A chaque fois, le miracle semble se répéter. Alleluia! Il n'est pas 19h00, et j'ai déjà le regard qui tangue et un sourire un peu idiot sur la tronche. Je le sais, parce qu'autour de moi, quelques-uns des nôtres semblent partager la même expérience mystique mi-raisin.

Entretemps, l'activité de via-ferrata s'est terminée, on se lance alors à la poursuite de la poulie jaune comme d'autres chercheraient le diamant vert* (*cet épisode de ma jeunesse a inspiré à Robert Zemeckis un film plutôt réussi, auquel je me permets de renvoyer le lecteur). Léon finit de déséquiper la paroi et nous nous retrouvons bientôt autour du repas concocté par Gi : Des moules à l'ail.

Recette expliquée par Gi elle-même :
- Alors... déjà, t'achètes des moules;
Note de l'auteur: pour ceux qui ignorent où ça s'achète, "la moule est dans le pré", il suffit donc de se baisser pour la cueillir.
- après, tu achètes un moule;
N.d.l.a: un moule à moules, il fallait y songer!
- quand t'as ton moule et tes moules, tu mets tes moules dans ton moule (ensuite tu répètes cette phrase cinq fois de suite sans fourcher);
Attention: les moules doivent être disposées ouverture vers le bas, sinon ça marche moins bien, à ce qu'il paraît.
- tu asperges le tout d'ail (n.d.l.a: moulu, évidemment, l'ail) et d'un vin blanc sec acheté dans les rayons inférieurs d'un magasin Colruyt®;
- tu emballes ton moule plein de moules dans du papier Reynold's® acheté de préférence dans le même supermarché, histoire de ne pas multiplier inutilement les trajets, surtout quand tu as trois enfants dans l'auto...;
- quand le barbec est chaud, tu y déposes le plat et tu le recouvres d'épines de pin que tu vas piquer chez ton voisin;
N.d.l.a: bon, pour les aiguilles de pin, c'est vrai, c'est spectaculaire. Côté utilité, certains s'interrogent encore.
- quand tu penses que c'est prêt, tu demandes à Léon de retirer le plat;
N.d.l.a: pour une dégustation optimale, il est recommandé de se servir d'une coquille de moule déjà vide en guise de pince.

Il est important de relever que ce plat, exquis au demeurant, a été conçu comme une simple mise en bouche, car ainsi que l'écrivait fort joliment le poète:
"La moule, petite et charnue, est un véritable délice,
Elle charrie les effluves de la mer à elle tout seule.
Mais qu'est-elle, en fin de compte, sinon un amuse-gueule,
prélude incontournable à la dégustation d'une saucisse?"*
(*"Sexe et aliments - allusions et illusions", Coll. Les plus belles pages de la littérature pour obsédés culinaires, sous la direction d'Hilaire Hon, œnologue, et Gérard Manfin, gourmet, éditions du Puy, Auvergne, 2015)

C'est donc assez logiquement, et tout naturellement, que nous sortons nos saucisses* (*certaines expressions m'ont été imposées, sous la menace, par notre Président - "c'est subliminal", m'a-t-il précisé), ainsi que les traditionnelles brochettes, merguez et tranches de lard. Une laitue fait son apparition, quelque peu boudée par la collectivité. Il est bientôt l'heure de déguster les camemberts Président®* (*le fromage, pas les chaussettes de notre vénérable chef), qui ont eux-mêmes reçu les honneurs de la braise et gisent à présent à même le sol, dans ce qui préfigure déjà l'activité nocturne de jeu de piste imaginée par Gi. Malgré les protestations de celle-ci, qui prétend avoir fait ses emplettes le matin même, la baguette est dure et crisse sous la dent. Cela n'altère aucunement l'appétit des convives, moins encore leur enthousiasme. Notre orgie de bonne chère peut donc se poursuivre, dans la joie et la bonne humeur.

Pour ma part, je reste un peu en retrait, intercalé entre le souriant Sam et le réservé Johan. Dans ma tête, l'alcool est en train de sortir pleinement ses effets et je me surprends à lorgner plus souvent qu'à mon tour du côté du cubi de Chardonnay apporté par Gi, dans l'espoir tout aussi régulièrement déçu que celui-ci entende l'appel de mon gosier et vole à mon secours. Las! L'imbécile a choisi de me tourner le dos et d'ignorer superbement mes efforts télépathiques, préférant offrir son bec verseur au premier venu, telle la prostituée de Babylone. Je peste intérieurement contre lui, le traître, qui m'abandonne ainsi à une soif de plus en plus inextinguible. Ce n'est qu'au prix d'un effort surhumain que je parviens à m'extraire de mon fauteuil de camping pour parcourir la distance interminable qui me sépare du maudit cubi, pas moins de cent vingt-sept centimètres, d'après mes estimations.

- "Etienne, ça tombe bien..." me lance Gi alors que j'arrive péniblement à destination.

En sa qualité de maître d'œuvre, celle-ci semble s'acquitter de mille et une tâches à la minute, débarrassant d'une seule main une dizaine d'assiettes sales, remplissant de l'autre trois gobelets vides, arrachant au passage un morceau d'essuie-tout qu'elle s'empresse de tendre à Léon, avant de se pencher vers Lili qui piaffe d'impatience à ses côtés, le tout pendant que je m'emploie vainement à sonder ma mémoire embrumée, dans l'espoir d'y trouver la raison pour laquelle je me tiens là, à la regarder s'activer. Tout ce que je sais, c'est que j'en attrape le tournis. J'en oublierais presque ma soif... sinon qu'en roulant vers le bas, mon œil accroche le sourire goguenard du bec verseur. "Haha, te voilà, toi!" me rappelé-je soudain en arborant à mon tour un petit rictus de satisfaction, tandis qu'une multiplicité de mains gauches - que je devine être les miennes - tenant une multiplicité de gobelets aux contours incertains s'approchent avec une avidité malhabile du cubi de Charbonnay.

- "Dis, Etienne, tu peux accompagner Lili, steplè? Elle cherche Amandine et Kérane..."

Je n'ai pas le temps de laisser mon cerveau intégrer la question de Gi qu'une petite menotte déterminée se glisse dans ma paluche d'alcoolique et m'entraîne à sa suite vers la sombre forêt qui s'étend à quelques pas de là. Nous voilà bientôt en train de gravir une pente raide, comme aux plus belles heures du camp familial auvergnat* (*cher lecteur, si tu as quelques heures à tuer, je ne peux que t'inviter à lire l'excellent compte-rendu du 23.07.2015 pour plus de détails à ce sujet). Au sommet, mon guide liliputien me conduit jusqu'à l'endroit où sont cachées les deux adolescentes, juchées à califourchon sur une branche d'arbre et se faisant face comme s'il s'agissait d'un tape-cul. De tout évidence, les demoiselles se sont isolées dans le but de papoter en toute discrétion.

- "Viens Lili!" lâché-je alors en me tournant vers l'adorable gamine. "Amandine et Kérane sont saines et sauves! Allons annoncer la bonne nouvelle à ta maman!"* (*un vieux réflexe que j'ai conservé, que d'annoncer la bonne nouvelle, voy. plus haut, op. cit., St Marc etc...). Nous rebroussons donc chemin pour rejoindre le groupe, que nous trouvons en proie à une soudaine agitation. Les barbecues ont été renversés, les braises forment une traînée rougeoyante dans l'herbe verte, une bonne partie du matériel a été rangée et Caro est occupée à faire la bise aux autres convives. J'aperçois le chef en train de farfouiller dans le coffre de son Navara, tandis que, veste en cuir sur le dos et casque sur la tête, Jeff est manifestement sur le départ. "Que pasa?" me demandé-je avec angoisse, figé comme une souche, tandis que Lili court annoncer l'heureuse nouvelle à sa mère.

- "Etienne, tu as ta tikka?" questionne alors Greg, l'œil sévère.

- "Tuatatika... c'est quoi cet idiome? de l'aztèque ancien?" suis-je sur le point de lui demander, avant de constater qu'il a étalé une dizaine de lampes frontales sur le rabat de son coffre. "Quoi, on va marcher?" m'exclamé-je, passablement surpris et éméché.

- "Bin oui. Gi et Léon ont préparé une géocache.
- "C'est long?"
- "Quatre kilomètres environ..."

Je déglutis. Le crépuscule n'est déjà plus qu'un vague souvenir, l'obscurité a fondu sur les bois, la lune est aux abonnés absents, j'ai l'abdomen engourdi par une digestion des plus délicates et sous l'effet de mon footing matinal mes jambes me paraissent tout à coup lourdes et cotonneuses. Les choses s'annoncent donc plutôt mal, d'autant que - comme si la situation n'était pas déjà assez désespérée - le cubi de Chardonnay a disparu de la table, probablement essoré par quelque vil saoûlard assoiffé. Je râle intérieurement. "Si j'avais eu envie de marcher, c'est un club de rando que j'aurais choisi, pas un club d'alcooliques anonymes!" Je ne tarde pas à mesurer toute l'absurdité de ma réflexion. "Diantre, serais-je donc ivre?" me demandé-je brusquement, en cherchant appui contre la Nissan® poussiéreuse du chef, frappé de plein fouet par la cruauté de cette révélation.

- "Tiens, prends ça..." me glisse alors Grégory en me tendant une lampe. "J'ai rechargé moi-même les piles..."* (*afin d'apprécier à sa juste mesure toute la saveur de cette réflexion, il est utile de se rapporter au compte-rendu du 12.07.2015 - ce jour-là, notre GPS aussi était muni de piles que Greg avait pris soin de "recharger").

Nous voilà donc partis dans la nuit, laissant derrière nous Tamara et Ethan, Jeff et Caro, ainsi que Django, Raf et Malak... sans parler du cubi de Charbonnay, ni de la bouteille d'eau pétillante que je pense, à tort, avoir prudemment laissée dans le coffre de ma voiture. A la faveur de l'obscurité, les quatre kilomètres planifiés me semblent proches du double, voire du triple. Nous marchons à la queue leu leu, crapahutant par monts et par vaux, à la seule lueur de nos torches, comme les participants d'une veillée aux flambeaux engagés dans une étrange procession nocturne. Bientôt, Ethan finit par s'assoupir sur les épaules de Sam. C'est ensuite Oli qui le relaie pour ramener le bambin à bon port. Pour ma part, je suis tellement rond que, tout au long du parcours, j'ai l'impression d'avoir dans les oreilles, en flux continu, les derniers tubes du moment: The Magician, Christine and the Queens, Ed Sheeran, Katy Perry, etc. Il semblerait que mon cerveau se soit synchronisé sur Pure FM® ou NRJ®. Tantôt, la musique s'éloigne, tantôt elle se rapproche, comme pour mieux accentuer ma sensation de roulis. A un moment j'ai même l'impression qu'elle diffuse depuis un point d'émission situé directement au-dessus de ma tête, mais sans doute n'est-ce là qu'un effet secondaire de mon éthylisme avancé.

Evidemment, il n'aura pas fallu cent mètres pour que les piles de ma tikka soient complètement déchargées.

J'ignore comment tout ceci s'est terminé. Tout ce que je sais, c'est qu'en ce lendemain de la veille, j'ai la bouche pâteuse, mal à la tête et un curieux bracelet jaune fluo au poignet gauche, dont je ne m'explique toujours pas l'origine.

Plus j'y réfléchis, et plus j'ai la conviction d'avoir oublié ma bouteille d'eau dans la caisse de rangement du Président. On est dimanche, les magasins sont fermés. A mon avis, je suis parti pour une bonne gueule de bois...

C'est juré, à partir d'aujourd'hui, j'arrête de boire.

Etienne




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